L’excès d’empathie

Alexandra Ricque

J’ai longtemps réfléchi avant d’écrire cet article, car le sujet que j’aborderai ici est sensible. J’avais peur de susciter de vives réactions, mais c’est l’envie de montrer au grand jour le travail parfois crève-cœur des travailleurs du domaine animalier qui m’a poussé à écrire ces lignes.

La première fois de ma vie d’adulte où j’ai dû mettre les pieds dans un refuge avec l’intention d’adopter un animal, mon conjoint a dû m’emmener de force manger au restaurant pour que je sorte de là. C’était une mission impossible… je venais de passer plus d’une heure à regarder et analyser chaque chat. Je pleurais devant chaque cage, car, envahie de culpabilité à l’idée de laisser les autres derrière, je n’arrivais pas à choisir. Pour enfin arriver à adopter mon chat, j’ai dû prendre du recul par rapport à la situation et faire taire brièvement l’empathie que j’éprouvais.

Aujourd’hui, je travaille avec les chats afin d’aider leurs humains à mieux comprendre le comportement de leur félin et, ainsi, améliorer leur cohabitation.

Je travaille également comme consultante dans les refuges. Oui, moi qui pleurais comme une madeleine lors de ma première adoption en refuge, j’y suis maintenant régulièrement.

La situation est souvent difficile, chaque cas vient me chercher au plus profond de moi et je ne suis pas la seule. Je vois que les travailleurs du milieu n’arrivent pas à y rester à long terme. Pourquoi? Il est certain que les conditions de travail en général ne sont pas faciles, mais s’agit-il plutôt d’une sorte d’excès d’empathie qui rend le travail douloureux? Comme s’il y avait un piston des émotions qui sautait en côtoyant un énième animal qui a une histoire encore plus triste que celle de la veille.

Un jour, mon vétérinaire, que j’ai vu pleuré à mes côtés lors de l’euthanasie de mon beau gros labrador, me dit, "Tu sais Alex, les gens ne le savent pas, mais notre métier est tellement difficile que c’est le métier qui est le plus répertorié dans les suicides…". Cette remarque m’a fait l’effet d’un coup de poing. Par la suite, en 2014, j’apprends le suicide du Docteure Sophia Yin, vétérinaire spécialiste en comportement animal et reconnue à l’international. Je décide donc de faire attention à moi et de donner les moyens de prendre du recul sur certains cas lorsque j’en ai besoin.

Faire preuve d’empathie envers les animaux sans se faire souffrir soi-même !

Ceci est un leitmotive qui n’est pas si simple à mettre en place pour les gens qui travaillent avec les animaux comme les vétérinaires, les techniciens en santé animal ou encore les employés de refuge…

Saviez-vous qu’il existe un syndrome qui explique ce phénomène de se préoccuper trop de la douleur émotionnelle des autres, qui se nomme syndrome d’excès d’empathie ou encore connu sous le nom de fatigue compassionnelle.

« Ce terme a été proposé par Charles Figley : la fatigue compassionnelle est un type de stress résultant de la relation d’aide thérapeutique, de l’empathie et de l’engagement émotionnel. Ce terme permet de rendre visible une réalité affectant notamment les professionnel(le)s travaillant avec l’objectif de soulager la souffrance…» (Comité psychologue, 2018)

C’est le cas de ceux qui cherchent améliorer la destinée des animaux.

Parfois, le besoin de venir en aide à l’animal vulnérable, de faire cesser sa souffrance, devient si fort qu’il devient difficile de ne pas souffrir soi-même.

Je m’adresse maintenant aux professionnels du milieu, s’il-vous-plaît, vous méritez également de la compassion. On ne peut pas toujours la trouver dans notre entourage ou les cas que nous réussissions à sauver. Alors, si cela devient trop difficile, parlez-en et demandez de l’aide à un professionnel.

Et à vous tous qui passez parfois en refuge ou chez le vétérinaire, ayez une petite pensée pour ces professionnels qui en voient de toutes les couleurs au quotidien. Sur ce, je vais prendre quelques câlins de mes chats avant de vous laisser. Je veux que vous sachiez que vous êtes très importants dans ce monde.

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Publication originale sur le site Les fidèles moustachus : L’excès d’empathie